L’équipe de football du FLN (1958–1962) : onze hommes, un drapeau, un combat

L’équipe de football du FLN (1958–1962) : onze hommes, un drapeau, un combat

Il existe des pages de l’histoire où le sport dépasse le cadre du terrain, se fait arme de diplomatie et instrument de lutte. L’équipe de football du FLN, fondée en avril 1958, fait partie de ces exceptions. Pendant quatre ans, une vingtaine de joueurs professionnels algériens ont quitté clandestinement la France, abandonnant leurs carrières prometteuses dans les plus grands clubs européens, pour représenter une nation qui n’existait pas encore officiellement : l’Algérie libre.

Une naissance clandestine, mais hautement symbolique

Le 13 avril 1958, à Tunis, une équipe formée par le Front de Libération Nationale est présentée au monde. Son objectif : défendre l’idée d’une Algérie indépendante à travers le football, et attirer l’attention internationale sur la guerre d’indépendance en cours contre la France coloniale.

Derrière cette initiative se cache une stratégie audacieuse : utiliser la notoriété de footballeurs algériens connus en métropole pour porter politiquement et pacifiquement la voix du FLN sur les terrains internationaux.

Des joueurs d’élite engagés corps et âme

La liste des joueurs les plus emblématiques :
• Rachid Mekhloufi : Attaquant vedette de l’AS Saint-Étienne, il quitte la France au sommet de sa carrière pour rejoindre le FLN. Capitaine charismatique, il devient l’ambassadeur sportif du combat pour l’indépendance. Après 1962, il joue un rôle central dans la structuration du football algérien.

• Mustapha Zitouni : Défenseur de l’AS Monaco et ancien international français. Sélectionné pour la Coupe du Monde 1958, il renonce à y participer pour rallier le FLN. Son départ a un fort impact médiatique en France et à l’étranger.

• Abdelhamid Kermali : Attaquant de l’Olympique Lyonnais. Il devient célèbre après l’indépendance comme sélectionneur de l’équipe nationale algérienne, qu’il mène à la victoire en Coupe d’Afrique des Nations en 1990.

• Mohamed Maouche : Milieu de terrain du Stade de Reims, il faisait partie de l’une des meilleures équipes européennes de l’époque. Son jeu élégant et son sens de la passe font de lui un cadre technique du onze du FLN.

• Abdelaziz Bentifour : Défenseur de l’OGC Nice, expérimenté et discipliné. Il apporte de la solidité à la ligne arrière du FLN et participe activement à l’organisation des matchs à l’étranger.

• Brahim Bouchouk : Milieu relayeur du Toulouse FC, excellent dans la récupération et la relance. Il est l’un des artisans du jeu fluide de l’équipe.

• Saïd Amara : Milieu de terrain de Strasbourg. Très impliqué, il contribue activement à la cohésion entre les joueurs. Il poursuivra ensuite une carrière dans l’encadrement sportif en Algérie.

• Abderrahmane Soukhane : Ailier du Havre AC. Rapide, percutant et technique, il est un cauchemar pour les défenses adverses. Il symbolise l’intensité offensive du FLN.

• Mohamed Soukhane : Défenseur de Mulhouse, frère d’Abderrahmane. Joueur rigoureux, il complète parfaitement la ligne défensive de l’équipe.

• Amar Rouaï : Défenseur rugueux et très respecté, en provenance du SCO Angers. Il était l’un des premiers à avoir rejoint le maquis algérien avant même la création officielle de l’équipe.

• Ali Doudou : Gardien de but, formé localement à l’USM Bel Abbès. Réputé pour ses arrêts réflexes, il a largement contribué à maintenir l’invincibilité de l’équipe face à de nombreuses sélections étrangères.

• Mokhtar Arribi : Ancien joueur devenu entraîneur de l’équipe du FLN. Il joue un rôle majeur dans l’encadrement tactique et la gestion du groupe durant les tournées diplomatiques.

• Abdelkader Zerrar : Milieu défensif, efficace dans les duels. Il assure un rôle d’équilibre dans l’entrejeu.

• Mohamed Djazouli : Attaquant peu connu en France, mais très efficace dans les matchs joués au Moyen-Orient. Sa vivacité en faisait un joker précieux.

• Brahim Saïd : Défenseur solide, il joue un rôle clé dans les matchs organisés en Asie, notamment au Vietnam et en Chine.

• Djilali Abdi : Jeune espoir qui rejoint l’équipe vers la fin de la période. Il poursuivra sa carrière après l’indépendance dans le championnat algérien.

Une diplomatie itinérante : les tournées de l’équipe FLN

Privée de compétitions officielles par la FIFA, l’équipe du FLN choisit un autre terrain : celui des rencontres amicales internationales non officielles, souvent contre des sélections ou clubs de pays sympathisants de la cause algérienne.

Pays visités entre 1958 et 1962 :

• Tunisie (pays hôte, soutien actif)

• Maroc

• Libye

• Égypte

• Irak

• Syrie

• Liban

• Vietnam du Nord

• Chine

• URSS (République socialiste soviétique d’Ukraine, Géorgie)

• Yougoslavie

• Bulgarie

• Roumanie

• Tchécoslovaquie

Ces pays, souvent membres du mouvement des non-alignés ou alliés du bloc soviétique, ont permis à l’équipe de jouer régulièrement. Au total, plus de 90 matchs disputés avec un excellent bilan : environ 65 victoires, une dizaine de matchs nuls et très peu de défaites. Mais l’essentiel était ailleurs : chaque rencontre était une tribune pour parler de l’Algérie.

L’impact médiatique et politique

À une époque où les moyens de communication étaient limités, ces matchs étaient parfois retransmis à la radio ou par des actualités filmées. Le public local, souvent solidaire des luttes anticoloniales, accueillait l’équipe du FLN comme des héros.

Cette visibilité internationale a renforcé la pression diplomatique sur la France et contribué à légitimer le FLN comme représentant officiel du peuple algérien. En parallèle, les fonds récoltés lors des rencontres aidaient au financement de la révolution.

Et après l’indépendance ?

Le 5 juillet 1962, l’Algérie devient officiellement indépendante. L’équipe du FLN se dissout, mission accomplie. Une grande partie de ses membres rejoignent l’équipe nationale algérienne, créée en 1963, ou contribuent à la formation des jeunes. Rachid Mekhloufi en particulier deviendra une figure majeure du football post-colonial, à la fois joueur, entraîneur et ambassadeur du sport.

Abdelhamid Kermali, de son côté, guidera l’Algérie vers sa première victoire en Coupe d’Afrique des Nations, en 1990. Un sacre d’autant plus fort qu’il incarne la transmission de la flamme révolutionnaire au terrain sportif.

Un devoir de mémoire

Aujourd’hui, l’équipe du FLN fait l’objet de nombreux travaux historiques, documentaires et hommages. Elle est la preuve que le football peut être un outil d’émancipation politique, lorsqu’il est porté par une cause juste. Elle est aussi une leçon d’audace, de sacrifice et de solidarité.

Leur engagement a permis à l’Algérie de briller bien avant que son drapeau ne flotte à l’ONU. Et pour cela, ces footballeurs resteront, à jamais, des combattants du peuple.



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